Chronique Heure: Sursauts Ostentatoires

2 mars 2009

Par Joël A. Grandjean
Pour le magazine Heure N° 98 - Special SIHH 2009.

«Je suis déjà ruiné, je ne vais pas en plus me priver… !» Cette phrase de bistrot, entendue en fond sonore dans un café genevois, m’a fait sourire. Elle redonne du baume au cœur et recèle quelque espoir secret: et si la branche horlogère, cernée par une crise généralisée, s’en sortait mieux que les autres! Elle le mériterait, avec son supplément d’âme patrimonial et ses reliefs culturels. Je me souviens, à la veille d’une opération chirurgicale d’importance, susceptible d’avoir sur le cours de ma vie une ultime incidence, m’être engouffré juste avant les heures de fermeture, dans une échoppe horlogère à la vitrine de laquelle j’avais repéré un objet non pas précieux ni mécaniquement intéressant, mais juste attractif. Juste un «petit plaisir»: une Zenith –j’ai toujours adoré cette marque, nommée Defy et disposant d’un look marin avec ancres navales stylisées et chiffres romains modernisés. Ses polissures, entre mat et brillant, avaient quelque chose de rassurant et surtout se situaient, après négociation, dans ma fourchette de prix. Dans ce moment particulier, j’avais besoin, comme pour baliser le tournant éventuel, de me raccrocher à cet objet, d’avoir à mon poignet la trace futile et muette d’une furieuse envie de survie. Alors j’en appelle aux apôtres de l’ostentation. Ceux qui, en s’appropriant les signes extérieurs d’une surface financière intacte, pourraient craquer, même en pleine tempête, avec cette dose d’inconscience qui métamorphose la folie passagère en pulsion d’achat. Car le plus grand ennemi de cette crise, également pour ceux qu’elle épargne voire enrichît, serait de se recroqueviller dans une attitude modeste, une espèce de profil bas aux effets dévastateurs pour l’immensité des stocks de merveilles horlogères dont le marché regorge. Certes, je soupçonne la tendance de vouloir bifurquer, d’autant que les célébrations du cinq centième anniversaire de Calvin se profilent, vers une attitude réservée, une volonté de ne pas narguer. La mode en sera affectée: certains modèles, dont la richesse horlogère est surtout intrinsèque et dissimulée par une sobriété design, risquent fort de connaître des regains d’attention. Les autres, croulant sous la grosse artillerie de leurs empierrages précieux et de leurs technicités brandies, pourraient souffrir… Sauf si le courant bling bling, colporté par la hip-hop attitude et l’arrivée intempestive des nouveaux riches, contribue à sauver les meubles, par sa nonchalance décomplexée. Car les «petits plaisirs» n’ont pas de prix, y céder est un espoir d’éclaircie, une promesse mémoriale…