Ça vaut combien une bonne idée ?
Par Joël A. Grandjean / TàG Press +41
Pour Heure Suisse N° 103.
«Si tout le corps était œil, où
serait l’ouïe? S’il était tout ouïe, où serait l’odorat? Si l’oreille disait:
parce que je ne suis pas un œil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle pas du
corps pour cela?» Ces paroles bibliques de l’épître aux Corinthiens feraient
bien d’inspirer quelque réduction d’ego chez ceux qui, dans l’horlogerie, à
force d’avoir leur nez dans un mono guidon, manquent de vision, ne parvenant
pas à estimer la valeur de ce qui sort de leur périmètre. Et méprisent parfois
d’autres compétences que les leurs. Entendu, à l’orée d’une aventure
entrepreneuriale réunissant depuis deux ans trois personnes autour d’un projet
commun -d’après le droit suisse une association en nom simple, que l’apporteur d’idée, celui qui avait mis les deux autres en contact en
vue de créer une nouvelle marque, faisait l’objet d’une tentative d’éjection. D’après
les deux autres, l’un designer génial et déconnecté, l’autre super vendeur
disposant de quelque capital, le troisième, l’initiateur, n’avait aucune part à
revendiquer. Quelles que soient
ses compétences, dont ils estimaient pouvoir se passer, il devait être tracé
purement et simplement de l’actionnariat à constituer. Mauvaise foi, extorsion
de parts! Et le designer de s’offusquer, prétextant que sans ses dessins, la
marque –encore en projet, n’existait pas. Et le début-de-financier d’ajouter
que, sans ses premiers versements ou achats, pas de développements possibles.
Faisant front commun, les deux interrogèrent le troisième: «Au fait toi, qu’as-tu
amené?» L’histoire horlogère est jonchée de ces êtres
qui, n’ayant ni fortune ni moyens, engagèrent leur réseau, leurs relations,
leur force de travail et… leurs idées, obtenant ça et là des prestations bien
en deçà de leur valeur sur le marché. Toutefos, des apports difficiles à
monnayer. Je me souviens de Simone Bédat, quittant sans retour, avec armes,
fils et bagages, l’entreprise qu’elle avait co-fondée avec Raymond Weil: après
avoir déposé sa nouvelle entité le 8 octobre 1996, elle était parvenue à
occuper en 1997 la Halle 1 de BaselWorld avec le lancement de 57 modèles! Son
apport? Un énorme capital sympathie unanimement partagé jusqu’au plus petit des
fournisseurs, dépassant largement les fonds qu’elle aurait du avoir. Plus près
de nous, le concept de la rouille du Titanic, étendue à d’autres légendes,
permit à Yvan Arpa de redresser une moribonde et de lui faire gagner ses galons
de marque reconnue contemporaine, différente: presque 150 points de vente. Ils
sont légion, les exemples de cet acabit. Hélas, les idées, surtout les bonnes,
dérangent parfois ceux qui en manquent. Elles se laissent plus impunément voler
qu’un modèle déposé, qu’un dessin revendiqué ou qu’une trace comptable. Le
fournisseur peut exigé d’être payé, il produit de la matière, un fournisseur d’idée
peut toujours courir… ou se protéger avant de causer
.
Cover Heure Suisse N° 103.
Chronique d'opinion horlogère, page 80.