Exclusif: Swatch Group versus MCH, l'article de la NZZ am Sonntag en français!
La NZZ am Sonntag a mis le feu aux poudres dimanche 29 juillet 2018. Blogs et médias ont repris et commenté copieusement un article qu'ils n'avaient pas forcément lu ou compris puisque publié en allemand. Daniel Hug le journaliste auteur de l’interview du CEO Nick Hayek qui a secoué tout le secteur m'autorise à publier la version française de ce mémorable sujet paru dans le plus grand quotidien suisse. Je l'en remercie vivement.
Nick Hayek, sur la ligne de départ. Le CEO du plus grand groupe horloger mondial quitte Baselworld!
Voir l'article original en allemand paru dans la NZZ am Sonntag / Dimanche 29 juillet 2018.
Le Swatch Group se retire de Baselworld
L'avenir de l'entreprise organisatrice de salons MCH est en jeu: Baselworld, son pilier le plus rentable vient de perdre son exposant le plus important.
Par Daniel Hug, Journaliste
Article original en allemand, paru dans la NZZ am Sonntag
Dimanche 29 juillet 2018.
La prochaine édition de la foire internationale de l'horlogerie et de la bijouterie à Bâle (Baselworld) se passera du plus important exposant à ce jour: «Le Swatch Group a décidé de ne plus être présent à Baselworld à partir de 2019», confirme dans une interview Nick Hayek, CEO du Groupe. Son groupe participe depuis des années avec quasiment toutes ses marques à l'exception de Swatch, en tous les cas avec 18 enseignes distinctes. «Aujourd'hui tout est devenu plus transparent, rapide et spontané. Les traditionnels salons de montres ne nous sont donc plus utiles», explique Nick Hayek.
Un nombre d'exposants qui passe de 2100 à 650
Depuis quelques temps, de plus en plus de voix mécontentes se font entendre au sein de l'industrie horlogère. Elles aspirent toutes à de nouvelles approches organisationnelles et à la remise en question de l'organisation telle qu'elle se déroule aujourd'hui. Déjà, des marques comme Hermès, Ulysse Nardin et Girard-Perregaux ont rejoint le Salon de l'horlogerie de Genève (SIHH). D'ailleurs cette année à Bâle (2018), le nombre d'exposants qui participèrent en mars à Baselworld avait, 650 exposants, a fondu de moitié par rapport à l'année précédente. Et si l'on remonte plus en avant dans le temps, ceux qui faisaient encore le pélerinage à Bâle en 2008 pour présenter leurs trésors au public et aux acteurs de la distribution, étaient trois fois plus nombreux qu'aujourd'hui.
Si, ces dernières années, un tel recul pouvait en partie s'expliquer par la morosité de l'économie, l'affaiblissement de la demande des marchés ou la surenchère publicitaire entourant le phénomène des montres connectées, ce n'est plus le cas aujourd'hui: depuis le début de l'année, les exportations de l'industrie horlogère suisse ont augmenté de 10,5 % pour atteindre plus de 10 milliards de francs. Le secteur est de nouveau florissant, ce qui ne l'empêche pas d'être soumis depuis ces derniers temps à des changements de paradigmes: ainsi par exemple, le contact direct avec les consommateurs est devenu plus important à l'ère du marketing en ligne et des médias sociaux. D'autre part, de nombreuses marques se sont établies depuis longtemps à l'échelle internationale et exploitent leurs propres succursales dans des pays comme la Chine, le Japon ou les États-Unis. Cela leur permet de maintenir un contact régulier avec les revendeurs locaux sans que ceux-ci aient obligatoirement à se rendre en Suisse.
«Il est clair que le salon doit se réinventer et s'adapter au XXIe siècle», a exigé en mars dernier Jean-Claude Biver, responsable de la division montres LVMH, lors d'un entretien avec CNN Money. «Davantage de discussions, de conférences, d'animations et de forums sont nécessaires», a-t-il martelé. La foire devrait faire plus pour attirer le public et revoir son prix d'entrée de CHF 60 qui est rédhibitoire et exagéré. D'ailleurs, de nombreux acteurs de la production horlogère ont émis des critiques quant à la gestion exercée par l'équipe de René Kamm, appelant à des changements et au lancement d'un nouveau concept.
Le 8 mai 2018, Ulrich Vischer, président du Conseil d'administration de la Foire Suisse (MCH) accompagné par son Vice-Président le Conseiller d'Etat de Bâle Canton Christoph Brutschin avaient rencontré Nick Hayek à Bienne. Le grand patron avait alors insisté sur l'importance de prendre plus en compte l'avis des exposants dans le concept du salon, sur le fond comme sur la forme, de plus les impliquer. Il s'attendait donc naturellement à un réajustement. Or, le 8 juillet dernier, voici que les courriers de renouvellement adressés aux marques se targuaient d'un nouveau concept: «Malheureusement, nous avons tous été confrontés une fois de plus à un fait accompli», critique Hayek. «Le nouveau concept a été envoyé à toutes les entités du domaine à l'insu des principaux acteurs de Baselworld, sans qu'il n'ait eu ni discussion ni examen critique du contenu proposé aux exposants.»
Rolf Studer, co-responsable de la marque horlogère Oris, confirme avoir bien reçu l'invitation. «Nous n'avons jamais été sondés quant au nouveau concept, confirme Rolf Studer, il a été mis sur pied sans que les exposants soient consultés.» Et d'ajouter que, ces dernières années, personne de la direction de l'exposition n'est passé devant son stand, bien que le stand d'Oris se trouvât au cœur de la halle 1, la plus importante.
«Ces dernières années, de nombreux nouveaux canaux se sont ouverts dans lesquels les marques ont la possibilité de se faire voir», explique M. Studer. «Le salon se voulait une plate-forme pour de nouvelles idées, pour transmettre la joie de l'horlogerie et pour s'adresser aussi bien aux détaillants qu'aux consommateurs. Car si vous demandez un prix d'entrée aussi élevé, vous vous devez d'offrir plus qu'un simple salon commercial: de la nourriture de haut standing, des rencontres face to face, ainsi que divers événements et ateliers.»
D'autres responsables de grandes marques de la région genevoise critiquent également les carences en matière de consultation, alors qu'ils contribuent, comme exposants au financement de l'événement. Michel Loris-Melikoff, le nouveau directeur de BaselWorld depuis le 1er juillet, rétorque «Le 3 mai, nous avons présenté notre programme d'idées aux représentants des exposants suisses», dit-il. Un premier concept non définitif leur a été présenté à la fin du mois de juin. Ces idées ont également été présentées aux exposants internationaux. «A l'évidence et je le confirme, j'ai reçu et enregistré toute forme de commentaires», dit-il.
Reste que les exposants ont été surpris d'apprendre que le salon avait déjà envoyé au début du mois de juillet et sans les avoir consultés, son nouveau concept comportant une nouvelle disposition des halles. «Pour l'édition 2019, nous ne disposions pas d'un délai suffisant pour apporter des changements conceptuels décisifs attendus» se défend Michel Loris-Melikoff. A début juillet, nous étions déjà en retard de deux mois pour engager les procédures de renouvellement ou de réservation. «Car la planification détaillée se doit d'être prête d'ici à la fin août, date à laquelle nous nous devons d'être en mesure de la présenter à nos interlocuteurs.»
L'objectif est de rendre le salon 2019 «aussi attractif que possible, dans un nouveau style et une nouvelle façon de penser.» Les principales innovations sont prévues pour 2020. L'organisation du salon utilisera un questionnaire pour déterminer les besoins des exposants. «Il s'agit en fin de compte d'identifier le plus grand dénominateur commun et d'en tirer une vision commune», explique Michel Loris-Melikoff. «Notre objectif étant de rester l'événement numéro un de l'industrie horlogère.»
Michel Loris-Melikoff, nouveu Directeur de Baselworld, le remplaçant de Sylvie Ritter
Capitalisation boursière inférieure à celle de l'immobilier
Pour MCH, c'est Baselworld qui génère le plus grand bénéfice de toutes les foires et activités. Mais les revenus diminuent. L'année dernière, les recettes des foires et salons suisses ont diminué de CHF 46 millions pour s'établir à CHF 238 millions, mais le résultat net s'est traduit par une perte annuelle de CHF 110 millions, principalement en raison d'une dépréciation de CHF 102 millions du bâtiment de la Foire de Bâle. Ce total dépasse de loin la valeur de l'entreprise qui est de CHF 270 millions, ce qui se confirme en analysant le cours de l'action. Plusieurs acquisitions de MCH à l'étranger n'ont pas changé la donne.
Un exposant de la taille du Swatch Group a pour usage de budgéter plus de CHF 50 millions pour Baselworld, en comptant les frais de voyage et d'hôtel de ses clients et employés. «Nous ne sommes pas ici pour amortir une salle Herzog & de Meuron coûteuse», critique Nick Hayek. «MCH Group est trop occupé à optimiser et à amortir son nouveau bâtiment au lieu d'avoir le courage de faire de réels progrès et des changements profonds.»
«Ce serait une grande déception si le Swatch Group quittait Baselworld», déclare Michel Loris-Melikoff. «Nous ferons de notre mieux pour les garder à Bâle.» Une question d'importance se profile dès lors, à savoir si l'annonce du Swatch Group servira de prétexte un nombre plus important de départs d'exposants, voire de départs pour Genève et son salon qui se tient au mois de janvier. «Nous resterons à Bâle pour le moment» a déclaré Jean-Claude Biver hier, «il n'empêche que Baselworld se doit de changer de manière significative.»