Presque 20 millions pour une Rolex en acier: au-delà du placement!
Les ventes aux enchères horlogères se sont-elles emballées? Pourtant utile à l’image de l’horlogerie mécanique, la course aux records risque d’éclipser l’intérêt du public pour les nouveautés ou le simple plaisir d’acheter.
Par Joël A. Grandjean, Rédacteur en Chef de TàG Press +41
Pour le magazine BF Banque & Finance, spécial Patrimoine
A New York chez Phillips le 26 octobre 2017, les coups de marteau du commissaire-priseur Aurel Bacs, star incontestée des enchères horlogères, ont adjugé une Rolex Daytona Cosmograph en acier ayant appartenu à Paul Newman: 15,5 millions de dollars US, une somme record à laquelle s’ajoutent 12.5% de commission, ce qui porte le montant déboursé à USD 17,8 millions! Penser qu’elle fut acquise dans les années 1960 par l’épouse de l’acteur à quelques USD 300 donne le vertige. Car elle a pris 59’333 fois son prix en moins de 60 ans. Quel placement! Elle détrône le précédent record tenu par Patek Philippe, aussi pour une montre bracelet en acier, la référence 1518 vendue plus de 11 millions, commission comprise, également par le même Aurel Bacs.
Enchères horlogères et éclats médiatiques profitables
Durant plus de 30 ans, accentuées par le fait que certaines marques horlogères suisses prestigieuses se sont lancées sur la voie d’un musée privé et sont donc devenues des acteurs dopant d’un système de traque aux valeurs de leur passé, les ventes aux enchères horlogères, thématiques, n’ont cessé d’être un phénomène grandissant. Un business qui aura pu être bénéfique à l’ensemble du secteur horloger. Evidemment, d’abord pour les marques concernées, Patek Philippe et Rolex en tête, puis pour toutes celles qui s’acharnent à promouvoir les arts de la micromécanique et des métiers d’exception et qui profitent donc de ces coulées d’encre épisodiques et de l’éclat médiatique des mises à l’encan.
De la part de Phillips, leader aujourd’hui devant les Sotheby’s, Christie’s et le précurseur du genre Antiquorum, la maîtrise des outils communicationnels actuels est à son apogée. A une star en puissance, la maison a offert un buzz planétaire. S’y sont engouffrés les nouveaux riches, les stars d’Hollywood, les novices fortunés. De nouveaux publics qui rejoignent peu à peu le cercle très fermé des collectionneurs et experts de longue date. Ceux-ci, dès que le bruit des marteaux médiatiques s’estompe, se livrent à loisir à des achats moins visibles qui feront néanmoins la tendance.
Gare au mirage
L’ultra médiatisation des ventes aux enchères horlogères érige hélas le marché du déjà-porté en référence, qu’il s’agisse de plaisir d’acquérir ou de valeur refuge. Quid des modèles actuels des marques horlogères? Quid de l’or et des autres matières précieuses face à cet acier qui reçoit tous les honneurs? L’inconvénient, c’est qu’on en oublierait que l’achat d’un garde-temps, à l’heure où l’heure précise est partout, gratuitement, reste avant tout une affaire de placement sentimental. Car une montre mécanique est aujourd’hui l’expression d’un statut. Elle est une pierre posée sur un chemin de vie, chargée de souvenirs et d’histoire personnelle. Sur la Rolex rebaptisée Paul Newman, l’épouse de l’acteur avait fait graver «Drive Carefully Me» – Conduis-moi avec prudence.
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Peu médiatisé, l’expert collectionneur Dr. Helmut Crott est un précurseur des ventes aux enchères horlogères. On lui doit la toute première vente thématique, A. Lange & Söhne. Sa base de données d’environ 60'000 montres renseigne sur leur cotation et leurs performances au cours des 40 dernières années. Les plus grandes enseignes le consultent.